dimanche 20 novembre 2011

Morts du comptoir

Henri est mort hier. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps car il était à l’hôpital mais je voyais souvent Odette, sa femme. Je me suis rendu compte ce matin que j’avais 15 ans de vie sociale, à Bicêtre, dans mes bistros préférés.

J’en ai enterré, du monde.

Le premier a été Robert, un facteur à la retraite. Il aimait bien faire le con avec nous, le soir, au bistro. Il buvait alternativement un blanc et un demi. Il a du être opéré du cœur. Il ne s’en est jamais remis.

Le deuxième a été Eric. Nous n’étions pas très proche mais on se voyait souvent au bistro, on avait un copain en commun, Laurent l’assureur. Il était dépressif et alcoolique. Il a fait une rupture d’anévrisme. Il avait 31 ans.

Pour les autres, je ne connais pas l’ordre, j’ai oublié les dates.

Le vrai premier a probablement été Claude, le comptable d’une boite d’à côté. Il prenait des cuites comme pas permis. Le crabe.

La mort de la vieille m’a également marqué parce que j’ai été à l’enterrement, en forçant le vieux Jacques, le gros Loïc et Mouloud a venir avec moi, pour que Régine ne soit pas tout seul. De fait, nous étions cinq à l’église. Le crabe. La vieille passait des soirées à jouer aux cartes avec nous. Elle trichait comme ce n’est pas permis.

Parmi les gens que j’ai bien connu, il y a Michel le Yougo et Fernand. Les deux ont ceci en commun d’avoir été trouvé morts plusieurs semaines après leurs décès. Fernand était bête comme ses pieds mais très sympa. Il ne fallait pas parler politique avec lui. J’aimais beaucoup Michel, par contre. Un solitaire qui était sorti de la vie sociale après la mort par accident de sa femme et de son fils. Il bossait au noir, chez les gens. C’est lui qui a refait mon appartement et monté ma cuisine. Le crabe pour lui et probablement le cœur pour Fernand.

Bien avant, il y avait eu ce vieux militaire fainéant qui habitait juste au dessus de Jim. Ce sont les odeurs qui ont inquiété les voisins. Il était tricard à la Comète car il était vraiment dégueulasse quand il picolait.

Le Colonel, qui habitait dans le même immeuble que moi mais que je ne voyais plus car il était aux invalides. Il est mort récemment. Un vieux con.

Mon copain Jeff, très probablement. Un jour, il a arrêté de répondre au téléphone et aux mails. Aucune nouvelle. On a passé pendant un an ou deux presque toutes nos soirées au comptoir de la Comète jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite de l’armée, vers 45 ans.

Suzanne et un type très gros qui venaient à la Comète les premières années où j’étais dans le quartier sont morts presque en même temps, il y a une douzaine d’années.

Michel, le conjoint de Josiane, a disparu alors qu’elle n’était pas à la retraite depuis un an. Le crabe.

Bernard, le père d’Alain, dit « Tintin », que je n’avais pas vu depuis les changements de propriétaires à la Comète, est mort il y a une semaine.

Marc, dit Tantine, s’est pendu à sa fenêtre parce que son amant l’avait largué, c’était au début des années 2000, je crois.

François, dit Casquette, est mort d’un cancer, l’an passé. Il n’habitait plus Bicêtre.

Je crois que la vieille Simone (une autre) est morte également. Je n’ai plus de nouvelle. Une militant du Parti Communiste…

Le « père Dichamp » ( ?) est mort avant même d’avoir atteint les cent ans.

Il y a « Y » la patronne d’un bistro que j’ai beaucoup fréquenté « au siècle dernier ».

Et tous ceux que j’ai oubliés. Car on oublie toujours.

Il faudra que je demande à Jean.

6 commentaires:

  1. Bonne journée quand même... pleine de vie...

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  2. Sans doute la population des bistros est-elle l'une des plus fragiles de la planète ... Avec son air de "feuille de chou", son ton détaché de feuilleton des mauvais jours, ton texte est beau ...
    Bien plus beau que le texte pompeux de St Ex ... mais ils ne sont pas de la même époque ... celle de Saint-Ex était compassée ... Mais la force est la même ...
    "Rien jamais en effet, ne remplacera le compagnon perdu : on ne se fait point de vieux camarades.Rien ne vaut le trésor de tant de brouilles, de réconciliations, de mouvements du coeur. (...) Il est vain, si l'on plante un chêne, d'espérer s'abriter bientôt sous son feuillage. (...) Nous plantons pendant des années, puis viennent les années où le temps défait ce travail et déboise. Et à nos deuils, se mêle désormais, le regret secret de vieillir."
    Saint-Exupéry, Terre des Hommes, Hommage à Jean Mermoz ...

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  3. Apo,

    Tu peux m'envoyer un mail ? Odette est prête à me laisser gérer son truc.

    Et merci !

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