Hier soir, j’ai du interrompre la narration du début de ma
carrière professionnelle car mon billet faisait quatre pages au lieu des deux
prévues mais je n’ai pas fini cet exercice qui sera pris par un texte d’autosatisfaction
et de suffisance par les informaticiens ayant commencé leur carrière dans les
années 80.
Résumé de l’épisode précédent :
Petit 1 : n’étant pas doué pour les études, j’ai
commencé à travailler en octobre 88 à l’âge de 22 ans ce qui nous ne rajeunit
pas. Suite à une succession de coups de bols, je me suis retrouvé dans un
domaine où j’étais doué (les logiciels pour les distributeurs de pognon).
Petit 2 : une compilation du logiciel durant environ 30
heures, j’ai appris à éviter les erreurs de syntaxe et à faire des logiciels du
premier coup sans bug, ce qui me permettait de travailler relativement vite
pour la plus grande joie du portefeuille de mon patron.
Petit 3 : je bossais avec une bande de cadres aux dents
longues plus occupés à cirer des pompes qu’à remplir le portefeuille du patron
en question. Comme j’étais très jeune et efficace, je suis vite devenu le
chouchou de la direction devant le regard ébahis de tous les imbéciles qui
fayotaient alors que moi je me contentais de faire mon job tout en festoyant
largement lors des pots d’entreprise et en étant toujours volontaire pour aller
boire un coup après le boulot.
Reprenons…
Ou pas. Je m’étais arrêté en juin 1989, à l’époque où je
bossais dans un cabinet de conseil d’une cinquantaine de personnes dont une
douzaine d’informaticiens, et je me suis rendu compte, après avoir publié ma
note qu’il est nécessaire que je revienne sur mes collègues de travail, pour
bien montrer l’ambiance.
J’avais 22 ans et un petit bac +3 et les plus jeunes d’entre
eux étaient ingénieurs dans des domaines variés bien éloignés de l’informatique.
J’ai du mal à estimer l’âge des gens qui me paraissaient des ancêtres mais qui
me paraitrait, maintenant, être des petits jeunes…
Comme la programmation était mon principal loisir, ma
passion, depuis l’âge de 13 ans, j’avais beau être un gamin et n’avoir que neuf
mois d’expérience professionnelle dans l’informatique, stages compris, j’étais le meilleur programmeur de la bande : c’est
très souvent moi qu’on envoyait en clientèle pour résoudre les gros problèmes...
Je le raconterai peut-être dans la suite de cette série de
billet, mais j’aurais pu ajouter « largement » à cette phrase : « j’étais
le meilleur programmeur de la bande ». Je m’en suis surtout rendu compte deux
ou trois ans plus tard (et ensuite) quand je suis devenu chef de projet et que
j’ai repris la maintenance de ce qu’ils avaient développé.
Si vous me trouvez odieusement prétentieux relisez l’introduction
de ce billet et rappelez-vous l’époque : il était très difficile de
trouver des informaticiens sortant d’école. Par contre, on trouvait beaucoup d’ingénieurs
en chimie ou en géologie (par exemple) au chômage et se réorientant vers le
secteur porteur sans strictement rien y connaître. Au bout d’un an ou deux, ils
devenaient très bien payés. Compte tenu de l’inflation et tout ça, ça reviendrait
aujourd’hui à environ à un salaire brut de 3000 voire même 3500 euros par mois.
Les hauts dirigeants de la boite étaient tous des petits bourgeois
et les jeunes sortant d’école avec un gros salaire montraient tellement d’efforts
à montrer qu’ils avaient réussi dans la vie que ça en était écœurant.
En gros, ils cherchaient à imiter des bourgeois qu’ils n’allaient
pas tarder à devenir. Je ne sais pas si ça existe toujours. J’ai moi-même pris
près de 25 ans et, surtout, le nombre de bacs +5 est beaucoup plus important
aujourd’hui. Sans compter qu’avec le boom de l’immobilier à Paris ce montant
est relativement moins prodigieux qu’à l’époque…
J’avais une vie sociale avec eux. J’étais parfois invité
dans des dîners et il y avait les pots mensuels au siège de la boite. On avait
fait aussi un « séminaire » à Marrakech avec tous les salariés et une
course de voila par étape avec un week-end de répétition.
Hollande aurait sorti son « je n’aime pas les riches »
à cette époque, j’aurais parfaitement compris de quoi il parlait. Pour
beaucoup, en dehors des heures de travail, des petits cons prétentieux, maniérés,
… Pendant les heures de travail, des petits cons ambitieux, fayots (j’en
parlais hier), …
Je n’ai analysé ça que bien plus tard, de même que le fait
que j’étais parmi les préférés du patron, voire, plus tard, le préféré !
Je lui rapportais de l’oseille et je n’étais pas un suceur de bite (désolé pour
cette grossièreté mais quand je me souviens de cette époque, aucune locution
plus précise ne me vient en tête, voire n’existe). Un autre élément important :
j’étais le seul à oser picoler autant que lui lors des soirées alors que les
autres faisaient attention… Toujours cette prétention, cette manie de croire qu’il
faut se tenir bien en société pour réussir une carrière professionnelle.
Je résume : j’avais 22 ans et je commençais une
carrière professionnelle avec des gens dont je n’avais que faire. C’est peut-être
pour ça que je fais maintenant une totale étanchéité entre ma vie
professionnelle et le reste. D’ailleurs, pendant les 15 années qui ont suivi,
je n’ai jamais déjeuné régulièrement avec des collègues de travail et je fuis
méthodiquement toutes les mondanités pas imposées.
Reprenons.
Vers juin 1988, ma boite a reçu un assez gros contrat pour
aller développer des machins en urgence à Vannes. Elle avait trois mois pour
réussir ce qui aurait nécessité un an, en principe (mais le client était très
pressé vu que la maintenance de ses ordinateurs s’arrêtait à la fin de l’année).
Le Directeur Général (pas « le patron ») me reçoit
donc et me dit « Jégou, vous connaissez le
Pascal. » Je réponds « heu, bof, j’ai un peu appris à l’école, mais
je ne connais pas vraiment. » « Jégou, vous
connaissez le Pascal. » « Ben non… » « Jégou,
ce n’est pas une question mais un ordre ! »
C’est ainsi que je suis allé passer les trois mois d’été à
Vannes, à travailler d’arrache pied, 15 heures par jour. Ca m’arrangeait bien,
les parents avaient une maison de vacances dans le coin, où je logeais. J’avais
des frais de déplacement (un forfait de l’ordre de 300 francs par jour) ce qui
fait que j’avais l’équivalent (compte tenu de l’inflation) de 2500 euros de
plus à la fin, sans compter mon salaire auquel je ne touchais pas (je n’avais
pas le temps et j’étais chez les parents). A la fin, pour me remercier, le
patron m’a filé une prime de ce montant… J’étais content, je partais au service
militaire avec une somme rondelle sur mon compte en banque (sans compter que j’avais
touché des arriérés d’un an d’aides au logement par la CAF). 4 briques. Compte
tenu de l’inflation, ça fait comme si je partais aujourd’hui au service avec 10 000
euros.
J’ai bien bossé mais le fait de faire cette mission dans le
coin où mes parents avaient une maison est probablement un des plus gros coups
de bol de ma carrière.
Après avoir critiqué les riches, n’allez pas penser que je
suis en train de fanfaronner à propos du pognon, je raconte ça uniquement pour
souligner que mon service (12 mois, à l’époque) n’allait décidément pas se
passer dans les mêmes conditions que les autres. Cette série de billets étant
dédiée à ma carrière professionnelle, je ne vais pas raconter mes deux mois de
classe et la vie de casernement.
J’ai donc passé 10 mois dans un service des « Transmissions »,
au Mont-Valérien. Il était en charge de la supervision du réseau de
communication de données. Internet, http, … n’existaient pas, à l’époque. Les
ordinateurs des militaires communiquaient entre eux en X25. Le réseau était l’équivalent
militaire de Transpac. Je ne travaillais pas sur le réseau mais le boulot que
je faisais m’a permis d’apprendre un tas de jargon technique qui m’a été bien
utile plus tard (ben oui, les distributeurs de pognon communiquent avec des
serveurs).
Les gens du service étaient des sous-officiers ou officiers
assez pointus technologiquement et on s’aimait bien. J’étais un « collègue »,
le seul appelé ou presque (il y en avait un autre mais il ne bossait pas sur
place en permanence). J’étais invité à tous leurs pots, leurs rigolades, … L’ambiance
n’était pas du tout militaire. Le capitaine (celui qui dirigeait
opérationnellement le service) passait un concours (ils appelaient ça « l’école
de guerre ») et j’avais rédigé une des épreuves à sa place (j’avais été
reçu mais pas lui…). Il s’agissait de raconter le fonctionnement du service.
Du coup, il m’aimait bien et m’aidait pas mal… Jusqu’à
accepter de signer mes congés pour début juillet que j’étais le seul du
régiment à avoir pensé à demander vu que nous étions mis en réserve pour les
cérémonies du 14 juillet (en 1989, le bicentenaire, quoi !) au cas où un des
régiments prévus pour défiler faisait faux bond. Ca m’a permis, entre autres, d’éviter
toutes les répétitions.
Comme boulot, j’avais en charge le développement de diverses
applications de gestion, notamment du secrétariat et des abonnés au réseau. La
secrétaire était dépressive et se comportait comme une folle, très fréquemment
en arrêt. Du coup, j’assurais aussi la majorité de son boulot.
J’étais un vrai planqué. Déjà, pendant les classes, je n’avais
fait que trois gardes et n’avais été bloqué qu’un week-end, mais pendant la
suite, je n’avais été bloqué qu’un seul week-end (je suis donc rentré tous les
week-ends sauf deux en Bretagne, pendant mon service). J’ai passé un an de rêve
ou presque, continuant à faire le boulot que j’aimais… et à aller au bistro. Un
seul bémol : le premier mois de classes et un peu le deuxième a été assez
difficile psychologiquement, de même que ma vie en casernement parce que je ne
supportais pas la hiérarchie militaire (autant, au boulot, je m’en fous, autant
recevoir des ordres débiles avec des menaces de punition me mettait à cran… Et
pendant les « heures de loisir », les ordres sont toujours débiles).
Il y avait beaucoup de types de région Parisienne. Ils
avaient la chance de pouvoir rentrer chez eux tous les soirs mais ils devaient
faire des gardes de week-ends et participer à des semaines de manœuvre.
Tout le monde était surpris de la chance que j’avais. Alors,
un jour, un type qui bossait au secrétariat du service qui gérait le personnel a taper mon nom sur l’ordinateur et à la rubrique « piston »,
il était indiqué « secret défense ». Le type m’a juré que pour les
autres pistonnés, il y avait bien le nom de la personne ayant pistonné, souvent
le député ou le sénateur du coin ou un haut gradé, un préfet, …, mais pour moi,
il n’y avait que cette mention. C’était la première fois qu’il voyait ça. Il s’est
renseigné : je ne pouvais qu’avoir été pistonné par un ministre, voire le
Président de la République lui-même.
Quelques années après, en discutant avec un collègue, je lui
ai raconté cette histoire. Il m’a dit que Gérard Longuet, ministre jusqu’à mai
1988, était un copain d’enfance de mon patron. C’est aussi ainsi que j’ai
appris que le patron en question m’aimait bien, puisqu’il avait pensé à me
faire pistonner juste avant que son pote ne quitte sa fonction, près de six
mois avant mon départ de la boite.
Un faux départ, d’ailleurs…
Quelques semaines avant la fin de mon service, le directeur
commercial de la boite où j’étais avant (j’avais démissionné) m’a appelé
pendant que je bossais. Déjà, qu’il prenne la peine de chercher mon numéro de
poste (à l’époque, on avait ni mobiles ni Internet) me surprenait.
Il voulait me voir. On a pris rendez-vous au siège de la
boite. Il m’a proposé de revenir travailler pour eux, ce que j’ai immédiatement
accepté.
Notez que ça plusieurs billets que je fais pour décrire ma
carrière professionnelle, je n’ai jamais écrit que j’avais cherché du travail.
D’ailleurs, je n’ai jamais cherché de travail.
Il m’a demandé le salaire que je le voulais. Je lui ai
demandé 1000 francs de plus qu’avant ce qui me paraissait énorme.
Quelques jours après, il m’a appelé pour me dire que le
patron ne voulait pas me payer aussi et me proposait 3500 francs de plus. Le
montant était considérable, pour moi, mais c’était le salaire d’embauche des
ingénieurs.
Je raconterais prochainement la suite de cette carrière
mais, je n’ai pas tardé à être à nouveau augmenté. Les autres jeunes de la
boite l’ayant appris, ils se sont quasiment mis en grève car ils ne trouvaient
pas normal qu’un type de bac +2 plus jeunes de un à trois ans qu’eux touchent
un salaire supérieur aux leurs.
Je ne parlerai plus de pognon, maintenant, je voulais juste
raconter ça pour montrer comment j’avais démarré à avoir une position
confortable et surtout vous montrer, une nouvelle fois, le niveau de mes collègues de travail de l'époque...
C’était en 1989. J’avais 23 ans, un salaire très correct avec
un job en région Parisienne, une chance incroyable et la vie devant de moi…
"beaucoup d’ingénieurs en chimie ou en géologie (par exemple) au chômage et se réorientant vers le secteur porteur sans strictement rien y connaître" : ça existe toujours...
RépondreSupprimerJe me doute..
RépondreSupprimer1989 je venais de me marier j'avaus 29 ans
RépondreSupprimerUne autre époque !
RépondreSupprimervache ! Sacré bout de vie.
RépondreSupprimerChouette à lire, et ça permet d'en connaître un peu plus sur toi.
J'approuve ce billet.
par contre, j'aimerais bien que tu précises ce qu'est "une course de voila par étape avec un week-end de répétition." ( Spécialité marocaine ?)
Merci !
RépondreSupprimer( une course à la voile. Une régate. )
Parcours qui m'évoque celui de mon ex-mari ... une sorte de Mike Giver qui réparaient les ordinateurs avec un coup de poing,un coup de vernis à ongle, deux élastiques et un trombone ...Il a eu des trucs brevetés toussa ...et puis les jeunes générations sont arrivées, qualifiées, y'a pas à tortiller ! ... Mais il avait bien pris le choux, il n'a pas trop supporté ... Et comme moi, tu pourrais être l'Empereur de Chine, je suis trop conne pour m'en rendre compte, donc je m'en fous !...il aurait aimé que je sois un peu plus admirative ... ça le faisait pas trop ! ...
RépondreSupprimerTiens, tu me fais bien rigoler ! ... J'adore ton histoire ! Tu as l'art des feuilletons, c'est trop drôle !
Vite la suite !
Bz
réparait
RépondreSupprimerMerci ! La suite arrive. Je ne suis pas Mac machin, au contraire. C'est pour ça que je m'en sors : très pro. Pas d'impro.
RépondreSupprimerC'était un bricoleur de génie qui a fait partie de l'équipe d'André TRUONG.Et puis cette étoile s'est éteinte ...(avec quand même de solides revenus!)...Il n'est resté qu'une méconnaissable enveloppe de surestimation de soi ...Il parait que ce cas n'est pas isolé.Survivre à cette époque de créativité n'a, parait-il, pas été si facile, pour un bon nombre d'informaticiens de la première génération ...
RépondreSupprimer