mardi 4 décembre 2012

Boulot

Depuis vendredi, j’essaie de trouver un angle d’attaque pour expliquer en quoi consiste mon boulot mais ce n’est pas facile : il n’y a pas beaucoup de boulot équivalent. Pour résumer, je suis un expert dans un domaine, tout ce qui touche aux machines dans lesquelles vous mettez une carte pour retirer du pognon. Le terme « expert » est assez mal choisi. Je me qualifie souvent « d’expert généraliste » ou « spécialiste en généralités » comme disais Gabale, l’autre jour. En fait, je connaissais très bien les distributeurs mais, avec l’âge, je connais maintenant un petit peu de tout ce qu’il y a autour.

Il faudrait que je donne un exemple mais je ne peux pas me baser sur la réalité : je n’ai pas le droit de parler du boulot et je refuse de le faire. Je vais inventer…

Imaginons que la banque pour laquelle je bosse soit contactée par la Fédération Française de Football pour vendre des places pour les matchs sur nos distributeurs. Le service marketing de ma banque nous contacterait alors, à l’informatique, pour que nous puissions étudier le projet et, notamment, établir un chiffrage pour qu’ils puissent mesurer la rentabilité du projet.

Et paf ! La demande aboutit sur mon bureau.

Voilà ce qu’il faut faire : quand un client met sa carte dans le machin, il faut lui proposer de faire un retrait ou un achat de billet pour un match. S’il choisit cette option, il faudra (par exemple) lui proposer des dates puis lui proposer les matchs pour ce jour-là. Quand il aura fait son choix, il faudra lui proposer un tarif selon qu’il est ou non abonné au club. Ensuite, il faudra lui demander de saisir son code confidentiel puis lui imprimer un premier ticket qui lui servira de billet et un deuxième qui lui servira de facturette de paiement.

Il va me falloir en tirer un document de dix  pages permettant de présenter à mes collègues les travaux qu’il faudra réaliser. Je vais donc actionner mon neurone pour faire le tour du dossier et je ne vais pas tarder à détecter la principale difficulté technique : quand le client demande à acheter une place, il faut avoir des dates et des matchs à lui proposer. Comment mon distributeur va-t-il savoir quoi proposer ? La deuxième difficulté : comment imprimer un billet qui ne soit pas falsifiable ou imitable par le client ?

Ces difficultés ne sont pas insurmontables. Il faudra aller consulter le serveur informatique de la FFF : c’est leur métier, ils savent faire. Je vais donc les consulter. Mon premier vrai travail sera de comprendre le mécanisme des échanges qu’ils veulent mettre en place entre le terminal (le distributeur) et leur serveur, via nos propres serveurs. Ce « comprendre » est important. Ce n’est d’ailleurs pas spécialement compliqué mais il va falloir que j’assimile ça suffisamment bien pour le vulgariser avec notre jargon, pour que tout soit compréhensible par la hiérarchie et par tous les acteurs et ça, c’est compliqué. Chaque acteur va être focalisé par la partie qui le concerne or c’est la cohérence globale que je dois garantir.

Je vais donner un exemple : que se passe-t-il si le client n’a pas son ticket final, avec les places pour le match mais qu’il a quand même réglé ? Il a pu oublier de prendre le ticket ou l’imprimante a pu déconner et le ticket n’est pas sorti. Ou, plus simplement, le rouleau de ticket est arrivé au bout avant la fin de l’impression… Concrètement, il y a plusieurs solutions : soit le client contacte la banque soit il contacte la FFF…

Toujours est-il que le type en charge du logiciel du distributeur ne peut rien faire. Il va donc s’en foutre. Le type en charge du logiciel de nos serveurs ne peut rien faire. Il va donc s’en foutre. C’est donc mon job de dire ce qu’on va faire. Concrètement, quand un billet sera vendu, il nous faudra prévenir le serveur de la FFF que le paiement a été fait (à telle heure, sur telle machine, pour tel match) pour qu’en cas de réclamation, les opérateurs puissent la traiter. Par exemple, si le client se pointe au guichet de l’agence, le type de l’accueil pourra appeler la FFF et lui dire : « voilà, j’ai un client qui se plaint d’avoir payé le match mais de ne pas avoir eu son ticket, est-ce que vous pouvez annuler la transaction et procéder à son remboursement ? » Et le type, au téléphone, aura les moyens de vérifier et d’agir parce que son serveur saura qu’une transaction a bien été faite.

J’en étais au stade où j’ai décrit les principes généraux des échanges dans un machin compréhensible par tous, y compris ce détail : prévenir le serveur de la FFF quand la vente est faite pour pouvoir gérer les réclamations.

Ce point a une première conséquence qui n’avait pas été vue auparavant (c’est un exemple, hein !) : du fait de ma connaissance du matériel et des processus, j’aurais vu qu’il faudra savoir régler les réclamations. Ce n’est pas neutre, ça va même coûter très cher : il faudra que les agents d’accueil, dans les agences de la banque sachent le faire et aient le temps pour le faire (même si on peut supposer qu’il n’y aura pas un achat sur cent avec des problèmes). Il va donc me falloir prévenir le service marketing (celui qui m’a adressé la demande) d’organiser les travaux correspondants avec les lascars en charge de fournir des procédures pour les agents d’accueil.

Je résume : à ce stade, j’ai décrit les traitements à grande maille en étant extrêmement précis sur un détail et j’ai prévenu mes « clients » qu’il y avait aussi un aspect organisationnel.

Ensuite, je vais continuer à creuser. Pendant la vente (la phase où l’on va proposer au client des dates et des matchs), qu’est-ce qu’on va afficher comme écran pour le client ? Auront-ils le logo de la banque ou celui de la FFF ? C’est cette dernière ou la banque qui va vendre les billets ? La banque qui vend-t-elle des billets ou se contente-t-elle de mettre des machines à disposition de la FFF ? La banque se rémunère-t-elle en récupérant une commission sur la vente des billets ou en ayant une marge sur cette vente ?

Après avoir soulevé un point organisationnel, j’aurais souligné un point à caractère réglementaire. Dans la pratique, ce point est une formalité. C’est l’opérateur qui va vendre, la banque n’est qu’un passe plat. Elle touchera une commission globale en fonction du volume des ventes (sinon, il faudrait gérer une facturation unitaire avec de la TVA, un vrai bordel, impossible à mettre en œuvre). Les écrans seront donc aux couleurs de la FFF… Il n’empêche qu’il faudra faire valider ce point en haut lieu et suivre toute la durée du projet et régler un tas de bricoles (comme assurer, dans le contrat, qu’on a bien le droit d’afficher le logo de la FFF sur les écrans de nos distributeurs).

Je ne dis pas tout cela pour vous impressionner : c’est mon boulot. Tout cela ne me prendra que quelques jours.

La principale difficulté est que je suis le seul à qui c’est le boulot de voir les nombreuses difficultés diverses qui vont jalonner le projet. Un exemple : ce qu’on va faire, sur le distributeur, ce n’est pas… de la distribution d’espèces mais du paiement d’un produit ou d'un service. Les circuits pour débiter les clients et créditer le vendeur ne sont pas du tout les mêmes. Dans un cas, on agit en temps que banque et dans l’autre en temps que commerçant (ou, plus exactement, prestataire technique de la FFF). Ce ne sont donc pas les mêmes circuits d’échanges, les mêmes formats, …
Je vais accélérer la description, maintenant, bien que le reste soit le boulot le plus lourd.

De fil en aiguille, je vais pouvoir décrire toutes les modifications des différents composants informatiques, notamment les distributeurs et nos serveurs mais pourquoi pas d’autres machins. Par exemple, si la FFF n’a pas pensé à nos clients étrangers, il faudra bien qu’elle évolue.

A un stade, je vais en savoir suffisamment pour pouvoir fournir les éléments qui pourront être utilisés par chacun pour déterminer le coût des travaux et les délais nécessaires. Il me restera à établir les cahiers des charges précis pour chacun des acteurs avant de lancer réellement le projet.

Il y a quelques autres bricoles à gérer, notamment la planification et la coordination initiale de tout ça.

Ca n’est qu’après qu’un chef de projet prendra le relai (car je suis bien incapable de le faire).

Et je suivrai ça d’un œil distrait tout en m’assurant que la cohérence globale n’est pas compromise à une étape ou à un autre.

On appelle ça de l’avant projet…

2 commentaires:

  1. Je me disais que si tu bossais pour la FF de foot, ça serait pas pire qu'aujourd'hui (litote ^___^)

    Elle est bonne ta présentation du métier : je la réutiliserai :-)

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    1. Appliquée à ton domaine, ça serait de la bombe.

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